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Photo du rédacteurJustine Bonnery

L'incontournable boucher de Villardonnel, Hercule du gibier

Il a 70 ans et des épaules à décorner les boeufs, une trogne joviale et un sourire aussi indémodable que les billots de sa boucherie : Jean-Pierre Bonnafous est le dernier commerçant d'un petit village audois.

Jean-Pierre Bonnafous dans sa boucherie à Villardonnel (11).

Jean-Pierre Bonnafous dans sa boucherie de Villardonnel, à 18km de Carcassonne. © Justine Bonnery

Pain-Saucisson

Lundi 28 décembre au petit matin, Villardonnel dort encore. Des pères Noël accrochés aux fenêtres manquent de s’envoler, une pancarte « école de caisse à savon » interpelle, puis sur le chemin vicinal qui mène plus haut dans la Montagne Noire : la boucherie Bonnafous. Jean-Pierre est là, il n’a pas allumé la lumière mais il est aux aguets. « Tu m’avais pas vu! », se boyaute-t-il. Même dans le noir il est mort de rire. Patate, tchatche et j’te-dis-tu sont aux rendez-vous.

« Tu sais ce qu’on dit, Villardonnel, petit village grand bordel », grommelle-t-il en aiguisant son couperet, « allez viens ». Tout commence dans l’arrière salle de sa boutique par une pitance matinale constituée du tandem pain-saucisson. Le pain est dur alors « tu lui fais faire deux tours de micro-ondes tu vois ». Ici, il n’y a ni boulangerie, ni épicerie. La boucherie est le dernier commerce du village d’un peu plus de 500 Villardonnellois.

Les journées de Jean-Pierre commencent à sept heures vingt par un café au lait. « Je n’aime pas le café seul, je n’aime pas le lait seul et le chocolat ça me fait chier », lance-t-il, mutin. « Et à neuf heures et demi c’est saucisson », dit-il en ajoutant que « si les collègues viennent c’est saucisson-vin rouge ». On l’aurait parié que ce grand manitou du boudin aimait les bonnes choses.

Biscuit

En parlant de bonnes choses, on n'est pas venu voir Jean-Pierre en chair et en os pour parler café au lait. Le commerce ouvre sous le nom de Baux en 1902 avec ses arrière-grands-parents, Eugène et Marie Baux. La boucherie transmet son savoir-faire de génération en génération : d’abord Cyrille et Alexandrine, les grands-parents puis Marie-Louise la mère. Un beau jour, celle-ci rencontre son futur époux : André Bonnafous alors chef pâtissier à Castres. Le grand-père lui annonce la couleur, « si tu veux épouser ma fille, c’est de la viande que tu vas trancher, et pas des biscuits », potine Jean-Pierre. Le grand-père enseigne donc l’art de la boucherie à son gendre mais « mon père n’était pas un grand boucher », confesse-t-il, « ma mère était meilleure bouchère, surtout pour la langue ». D’ailleurs Jean-Pierre aussi a bonne langue.

« Tu as écrit triton sur la pancarte », lui signale Nicole, sa femme. La sérénité sur pieds, ce petit bout de femme ne souhaite pas qu’on parle d’elle… alors on ne dira rien.

Dans la cheminée de l’arrière salle bout de l’eau dans une marmite en fonte. « C’est pour préparer le boudin et la saucisse sèche mais ce vent marin m’arrête le feu! », roumègue-t-il. Demain c’est mardi et c’est le jour où la bidoche est apportée avant potron-minet par le camion de la CAMVA. Cet acronyme sanguinaire est un grossiste en viandes et abattages labellisé « Sud de France » et marqué « Pays Cathare » présent à Carcassonne, en Minervois et en Montagne Noire. Les cochons sont abattus tous les lundis à l’abattoir de Puylaurens dans le Tarn, près de Revel. « Et le veau vient de Laprade, au-dessus des Martys tu vois, et pas de Nouvelle-Zélande. »

Boudin

À l'âge de 10 ans, un accident de vélo l'oblige à quitter l'école du village. C'est trois ans plus tard qu'il commence à se remettre sur pied et intègre petit à petit l'entreprise familiale. Il devient apprenti boucher jusqu'à ses 17 ans où il est officiellement boucher aux côtés de ses parents. Depuis, il n'a pas bougé. « Moi je suis là parce que ça me plaît tellement, y en a plus des comme moi », explique celui qui a eu 70 ans en septembre dernier. « Le directeur de la Camva me surnomme le cathare », rigole-t-il avant que sa femme ne lance que « les cathares étaient végétariens ». Tant pis si ceux-là refusaient la bectance carnée, nous on veut tout savoir sur le boudin.

Pour mitoner son boudin, Jean-Pierre utilise des boyaux de boeuf (pour la saucisse il prend des boyaux de porc). Il les passe dans l’eau pour les dilater et ferme le début du boyau par un petit nœud de ficelle. Il remplit les boyaux de farce (tête de porc, poumon, rognons, cœur et couenne cuits pendant 5h) à l’aide d’un entonnoir. Tous les 20 cm il refait un noeud. « Ça fait 50 ans que je fais ça », lance-t-il l'air guilleret. Ensuite, il met ces colliers de boudin dans une marmite d’eau froide qu’il porte à ébullition pendant 15 minutes. Enfin, il les pose dans une chambre froide toute une nuit. « Tu le manges nature avec de la moutarde, à la poêle avec des pommes ou grillé avec du citron », qu'il conseille.

Parmi les étals de Jean-Pierre, un boudin blanc traditionnel de la Montagne Noire nous fait de l’œil. Ce sont des couennes de porc cuites auxquelles on ajoute du pain dur, du lait, des œufs, du sel et du poivre. Le saucisson ne se fait qu’avec de gros jambons (entendez 15kg) et frais pour qu’il soit bon. Ajouter un peu de lard de porc pour qu’il ne soit pas trop maigre, 25g de sel, 3g de poivre et les mettre dans des boyaux de porc puis les faire sécher. La saucisse c’est du jus et du sang, 20g de sel, 3g de poivre et le tout saucissonné dans des boyaux. Le chorizo c’est de l’épaule de porc coupée en morceaux et hachée avec une machine. Pas de sel, pas de poivre. On y intègre 90g d’un produit en poudre fait exprès par kilo de viande. Enfin, la merguez ne se fait qu’avec de l’épaule ou du collier d’agneau passé à la machine à saucisse et mélangé à un « produit spécial merguez ».

Jean-Pierre Bonnafous dans l'arrière-salle de sa boucherie.

Jean-Pierre Bonnafous. © Justine Bonnery

Chips

S’il consacre tout son temps à son métier, du lundi au dimanche, Jean-Pierre aime aussi la promenade en voiture avec sa femme et la mobylette. « Devant toi tu n’as pas un enfant de cœur tu sais », qu’il rit. Certains lundis d’été, ses copains le poussent à fermer son commerce pour partir pique-niquer près de Narbonne. Au menu : saucisson, pâté, jambon, rôti de porc froid avec chips, haricots vert, fromages et fruits. « Et tout ça avec du rosé à volonté », balance Jean-Pierre en pointant son index. « Surtout, marquez le nom de mon copain Claude Martinez, c’est un autre cathare comme moi », dit-il en montrant son ami qui entre. Cela faisait plusieurs fois qu'on le voyait passer devant la boutique le coffre ouvert. Il a dû flairer qu’on parlait bonne chère et picole mais se justifie d’un « j’allais jeter les cadavres de Noël ».

L'ami raconte que Jean-Pierre déteste les légumes mais qu'il chérit son potager pour sa femme. Des clients arrivent et participent aux conversations. Ici on vient chercher sa viande de Carcassonne ou d'ailleurs parce qu'elle est bonne, mais avouons-le, c'est aussi pour voir Jean-Pierre. « Tout me plaît dans ce métier car je fais tout. J’aime aussi quand je reçois de gentilles clientes, et pas des emmerdeuses, celles-là je les laisse à Edouard. » Nos salutations à Monsieur Leclerc donc. « Je suis là pour le plaisir mais, quand tu as 70 piges, le plaisir… et quand tu sais qu’il n’y a pas la relève. Je l’aime trop mon métier mais petit à petit je sature. Et si j’arrête, qui viendra me voir? »

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